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Paysage : déterminer des indicateurs pour mesurer les services rendus

À Cernay, l'une des visites organisées sur le terrain a permis de découvrir la remarquable réhabilitation d'un tissu économique dégradé par l'aménagement paysager (voir le Lien horticole n° 794 du 4 avril 2012).

Quels sont les véritables apports du secteur du paysage à l'économie ? Les vecteurs de création de richesse pour les années à venir ? Ces questions étaient au centre des débats des dernières Assises du paysage, dont les actes ont été mis en ligne.

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L'idée que le paysage est générateur d'une richesse allant bien au-delà des simples emplois générés par la filière horticole est désormais largement partagée. Notamment par les participants aux dernières Assises européennes du paysage, qui ont eu lieu à Strasbourg en octobre dernier.

Éloi Laurent, économiste, est enseignant à Science Po et aux États-Unis, et participe au Cercle Cité Verte. Pour lui, on peut mesurer la richesse produite par la filière du « vert » de différentes manières. En termes de produit intérieur brut (PIB), le secteur reste un nain : 0,03 % de la richesse créée en France. Mais, malgré ses soixante années de suprématie, le PIB est-il un bon indicateur du développement économique d'un pays ? Puisqu'il est désormais remis en question de toutes parts, pourquoi ne pas s'en affranchir ? On peut alors plus librement considérer la création de richesse sous l'angle de l'emploi. Où l'on découvre que, selon certaines sources, les emplois verts représentent quelque 10 % de l'emploi total en Europe... Ce qui est loin d'être négligeable !

Quels bienfaits de la végétation sur le bâti ?

Entre ces deux extrêmes, quelle est la vraie valeur du paysage ? Lors des Assises de Strasbourg ont été évoqués tour à tour les bienfaits que la végétation apporte au bâti (une haie qui protège une maison du vent et qui limite la consommation de chauffage), le mieux-être des habitants entourés de végétaux plutôt que d'immeubles (selon une enquête menée aux Pays-Bas, les espaces verts permettent de limiter la prise d'antidépresseurs pour une économie annuelle potentielle de 8,6 millions d'euros...), ou la valeur monétaire qu'il faudrait investir pour retrouver un espace naturel dans l'état où il était quand on l'a détruit... Verdir une ville, c'est lui redonner vie, comme l'ont montré nombre de projets urbains, en particulier en Angleterre, et cela représente aussi une valeur. Il y a encore, on l'a évoqué, le prix de l'immobilier. Sans oublier, comme le rappelle Pierre-Henri Tavoillot, maître de conférence en philosophie à l'université Paris IV Sorbonne, le symbole d'identité que l'on retrouve dans les jardins, inchiffrable mais incontestable...

Dans ce contexte, avec des indicateurs aussi disparates et peu fiables, « comment faire du développement durable ? », s'interroge Pervenche Beres, député européen. Elle pointe aussi le manque de cohérence qu'il y a à rémunérer les paysagistes au pourcentage du montant des travaux que leurs projets vont générer plutôt qu'en fonction de l'harmonie qu'ils vont dégager...

Une boîte à outils pour mesurer les bénéfices

Entre les économistes, qui parlent emplois et euros, et les écologistes, qui parlent écosystèmes, il va falloir trouver un langage commun, ont estimé les participants à l'un des ateliers des Assises, consacré à la création de richesse directe par le paysage. En Angleterre, le projet Natural Economy North West (http://www.naturaleconomynorthwest.co.uk/) vise à mettre au point une boîte à outils permettant d'évaluer un nouveau parc dans une ville. Onze avantages procurés par les espaces verts sont listés (capacité à attirer des entreprises, augmentation de la valeur immobilière du quartier, augmentation de la productivité du travail, tourisme généré, augmentation de la production agricole locale...). Chacun peut être évalué distinctement. Avec cette méthode, un nouveau parc créé dans le quartier de la cathédrale de Liverpool, qui a coûté un peu plus de 34 millions d'euros, apporte des bénéfices estimés à plus de 52 millions, soit un « gain » de plus de 18 millions.

Mais aux Pays-Bas, des chercheurs ont constaté que si les gens fréquentaient, il y a vingt ans, les espaces verts pour se promener, aujourd'hui, ils y vont aussi pour lire, travailler avec un ordinateur portable, pique-niquer ou voir un spectacle : quelle valeur tout cela peut-il bien représenter ?

Quel retour sur les investissements publics ?

Malgré les évidentes difficultés à chiffrer le travail des professionnels de la filière, l'ensemble des acteurs des Assises sont tombés d'accord sur une autre nécessité : réfléchir à comment faire participer financièrement tous les bénéficiaires des bienfaits des espaces verts ? Pour tous ces investissements réalisés à partir de deniers publics, quel retour pour le Trésor public ? La question est plus facile à résoudre dans le domaine privé : un hôtel qui dispose de chambres avec vue sur mer et d'autres sans cette vue pratiquent des prix différenciés. Et un jardin privé fait payer un droit d'entrée modulé en fonction de la qualité des prestations qu'il offre...

Il est également nécessaire, et cela est revenu dans les débats à plusieurs reprises, d'évaluer les effets des aménagements paysagers à travers d'autres critères qu'économiques. Val'hor va donc mettre en place un groupe de travail élargi chargé de rassembler les informations et de déterminer des indicateurs pour mesurer tous les services (environnementaux, économiques, culturels, sociaux et de santé) rendus par les végétaux, les jardins et le paysage. Objectif affiché : amener les élus et les pouvoirs publics à une véritable prise de conscience et leur donner des arguments pour mener à bien leurs projets paysagers...

Au final, la concrétisation de tout ce travail repose en partie dans le « Manifeste pour une Cité Verte », présenté début octobre pour le cercle de réflexion éponyme, présidé par l'écrivain Érik Orsenna. Les soixante-dix propositions concrètes qui y sont présentées jettent les bases d'un monde dans lequel le cadre de vie serait mieux pris en compte par l'ensemble des acteurs. « Si on peut montrer que le paysage peut jouer le même rôle qu'hier l'électrification ou le tout-à-l'égout, c'est gagné », estimait un participant à Strasbourg. Et si l'on pouvait parler de vitamine G, pour Green, comme la société parle aujourd'hui de manger cinq fruits et légumes par jour, en faire un slogan du style « du vert pour se porter comme un charme », ce serait encore mieux. Reste à passer de l'intention à l'action, mais la filière dispose aujourd'hui de tous les outils pour...

Pascal Fayolle

www.assisespaysage.fr

ImmobilierSelon différentes études, le fait d'habiter dans un immeuble noyé dans la végétation limite la consommation d'antidépresseurs.

HarmonieLes paysagistes sont rémunérés au pourcentage du montant des travaux. Ne serait-ce pas mieux qu'ils le soient pour l'harmonie de leurs projets ?

DétenteLes gens vont dans les jardins publics pour se détendre, mais aussi lire ou travailler. Quel retour sur investissement pour le Trésor public ?

PHOTO : ODILE MAILLARD

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